Amnesty International France

Commission Enfants


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Le procès Lubanga devant la cour pénale internationale

Lettre d'information n° 41

semaines du 15 – 21 – 28 novembre 2010

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Les enquêteurs, les intermédiaires et les témoins entendus par la cour nient toute falsification des témoignages

La cour de première instance de la CPI juge Thomas Lubanga, inculpé de crime de guerre et crime contre l’humanité pour l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats durant la guerre d’Ituri en 2002 – 2003.
Ce procès a débuté en janvier 2009. Jusqu'en juillet 2009, l'accusation a présenté 37 témoins. Après une longue interruption, les représentants des 99 victimes, ont présenté deux témoins en janvier 2010.
La défense accuse des intermédiaires utilisés par les enquêteurs du Bureau du Procureur (BdP) d'avoir influencé des témoins pour les amener à mentir. Elle plaidera le 10 décembre prochain l’abus de procédure.
La cour entend actuellement le témoignage des intermédiaires et des enquêteurs du BdP.
La semaine précédente, ‘l’intermédiaire 316’ dont il sera beaucoup question durant la semaine du 21 au 28 novembre a nié les allégations de la défense.
Pour des raisons de sécurité des personnes, une grande partie des auditions se font à huis clos.

Une semaine entière à huis clos
La semaine du 15 au 21 novembre, consacrée à la déposition d’un enquêteur s’est entièrement faite à huis clos.

L’enquêteur ‘témoin 583’ a comparu en session ouverte
Nicolas Sebire a une longue carrière derrière lui. Il a travaillé pour la division du renseignement de la division anti-terroriste du tribunal de Paris, pour le tribunal spécial pour l’ex Yougoslavie, pour Interpol et pour la CPI. Il a expliqué que l’utilisation d’intermédiaires était nécessaire sur le terrain lorsque les déplacements n’étaient pas possibles [pour des raisons de sécurité] sur le territoire de la RDC. Le choix des intermédiaires était fait sur le critère de non participation aux opérations militaires et de n’être pas soupçonnés de crimes.
Il a été interrogé sur les relations qu'il avait eu avec 'Mr X' et 'l'intermédiaire 316' et les interrogatoires des 'témoins 35' et 'témoin 15'. Les deux premiers lui ont servi d'intermédiaire. Le 'témoin 35' est soupçonné par la défense d'être un escroc et le 'témoin 15' s'est dédit lors de sa déposition devant la cour. (voir lettre n° 12)

Le cas de ‘Mr X’
Mr X est un intermédiaire utilisé par N. Sebire et mis en cause par la défense pour avoir incité un témoin à mentir. Initialement, N. Sebire a considéré Mr X fiable parce qu’il était capable de localiser et contacter des individus envisagé par le BdP. Cependant il a commencé à avoir des doutes sur sa fiabilité. Et ce n’est seulement que plus tard qu’il a appris que Mr X était utilisé par d’autres membres du BdP. Jamais il n’a été informé à l’avance par l’équipe du BdP, et il a toujours considéré Mr X comme contact premier.
N. Sebire dit qu’il n’a jamais suspecté Mr X de préparation des témoins. Mr X n’était jamais présent lorsqu’il interrogeait les témoins et aucune question posée au témoin ne lui était communiquée.
Il a réaffirmé à la cour que Mr X n’était pas présent lorsqu’il a interrogé le ‘témoin 15’ et le ‘témoin 35’.
Le ‘témoin 15’ a prétendu que Mr X l’avait suborné pour faire un faux témoignage et qu’il avait menti sur son identité. N. Sebire a fait part de son étonnement, parce que l’histoire racontée par le ‘témoin’15’ était cohérente sur plusieurs journées d’interrogatoire. Un autre intermédiaire lui avait par ailleurs indiqué ce témoin avec la même identité. Il pense que ce témoin ne lui a pas menti.

L'intermédiaire 316
Cet intermédiaire a été mis en cause par le 'témoin 15' qui l'accuse de l'avoir incité à prétendre faussement qu'il avait été enfant soldat dans la milice de Thomas Lubanga.
N. Sebire a eu des contacts avec cet intermédiaire, car ce dernier avait des relations avec l'UPC, et qu'il lui semblait fiable. Il l'a même recommandé au BdP pour un emploi temporaire.
Il y avait deux facettes dans le travail de 'l'intermédiaire 316'; fournir des renseignements et présenter des témoins. Selon N. Sebire, cet intermédiaire a donné de bons renseignements. A une question de la défense, l'enquêteur a bien réaffirmé que certains renseignements ont demandé à être recoupés, ce qui est tout à fait normal dans ce travail, et que le terme "bizarre" qu'il avait utilisé dans un mail avec le BdP ne signifiait pas "suspect". En mai 2006, il a été décidé de limiter le recours à l'intermédiaire 316 et de contrôler systématiquement les informations que cet intermédiaire donnait

Le témoin 35
Après avoir introduit auprès du BdP le 'témoin 35', un ancien commandant de l'UPC, 'l'intermédiaire 316' a facilité son transfert à Kampala pour être interrogé par N. Sebire Ce témoin s'est plaint que l'intermédiaire avait pris une partie de l'argent qui lui était alloué pour la nourriture et l'hôtel. 'L'intermédiaire 316' a prétendu qu'il avait fait cela parce que le témoin utilisait cet argent pour d'autres choses. N. Sebire pense que l'intermédiaire 316 est fiable. De même le 'témoin 35' prétendait que l'intermédiaire lui avait promis que le BdP lui paierait tout ce dont il avait besoin. N. Sebire a dû lui affirmer que le BdP n'avait fait aucune promesse de ce genre.
La défense accuse ce témoin d'être un escroc et de n'avoir jamais été un commandant de l'UPC.
Bien que n'ayant pas la transcription de l'interrogatoire qu'il a fait du 'témoin 35', N. Sebire a convenu qu'il n'avait pas été impressionné par la manière dont celui-ci a raconté son histoire, mais qu'il ne remettait pas en question ses déclarations factuelles.

Le témoin 15
Ce témoin était membre de l'UPC au moment où N. Sebire l'a interrogé. Il avait été introduit par l'intermédiaire 316'. Bien que ne voulant pas quitter la milice de l'UPC, il a accepté quand même de collaborer avec la CPI. L'enquêteur se demandait alors comment protéger sa sécurité.

Vérification des identités et des informations
N. Sebire, aux questions de la défense sur la vérification des informations données par 'l'intermédiaire 316' a rappelé que le recoupement des identités avait été fait, de même pour les évènements.

Mentir est un péché
Après la déposition de l'enquêteur, la cour a interrogé un ancien enfant soldat, introduit lui aussi par 'l'intermédiaire 316'. Le procureur l'a interrogé minutieusement sur ses contacts avec cet intermédiaire. Ce 'témoin 38', voix déformée et visage flouté a répondu qu'il avait eu peu de contact avec l'intermédiaire. Celui-ci l'a appelé quelquefois pour prendre de ses nouvelles, mais qu'ils n'ont jamais parlé de l'enquête. L'enquêteur lui avait fourni un téléphone portable pour permettre des contacts directs.
En avril 2007 la CPI a été amené à envoyer ce témoin à Kinshasa pour le protéger après qu'il ait reçu des menaces par téléphone. La CPI lui a aussi financé des soins médicaux et une année d'école.
A la fin de sa déposition, le procureur l'a interrogé directement pour savoir si 'l'intermédiaire 316' l'avait incité à faire un compte-rendu particulier à l'enquêteur, ou lui avait promis une récompense pour ce qu'il dirait ou un arrangement pour raconter une histoire fausse à la CPI. Le témoin a répondu avec emphase : "Je n'ai dit que ce que je savais et que ce que j'ai fait. Je n'ai jamais exagéré ou caché quoi que ce soit. Je viens d'une famille chrétienne… Mentir est un péché. Je préférerais avoir des problèmes avec moi même que d'avoir des problèmes avec la morale"

La défense doit présenter sa soumission d'abus de procédure le 10 décembre
Le juge A. Fullford a refusé à la défense un délai supplémentaire pour présenter sa soumission demandant l'arrêt de la procédure, jugeant que le témoignage du 'témoin 598' n'apporterait rien de significatif pour elle.
Ce témoin devrait, en remplacement du 'témoin 555' faire état à la cour du climat de terreur qui règne à Bunia et des pressions faites sur ceux qui sont soupçonnés de collaborer avec la CPI.
Ce témoin sera entendu à partir de mercredi prochain.

Compte-rendu rédigé à partir des notes prises par Judith Armatta

La voix du peuple…
Une radio communautaire de Goma pose des questions à la population sur la cour pénale internationale (en français).
A écouter sur: http://www.irfj.org/category/drc/kivus-goma-voxpop/

Retrouvez toutes les lettres d'information sur le site du groupe 405 http://ai405.free.fr rubrique Actualité "Suivi du procès Lubanga"

Sources:

Les minutes du procès: site de la CPI.
http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Situations/Situation+ICC+0104/Related+Cases/ICC+0104+0106/Transcripts/Trial+Chamber+I/

Le calendrier des audiences à la CPI: http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Hearing+Schedule/Upcoming+Hearings.htm On peut aussi suivre les retransmissions vidéo des auditions (lorsque celles-ci ne sont pas à huis clos)

Des articles de journalistes suivant le procès. http://www.lubangatrial.org/  

La présentation des journalistes qui suivent le procès: http://www.lubangatrial.org/contributors/#4

On peut aussi consulter:
Le site de Human Right Watch en français: http://www.hrw.org/fr/news/2009/01/23/le-proc-s-de-thomas-lubanga-la-cour-p-nale-internationale
On peut aussi visionner un résumé vidéo de la première journée du procès sur le site de la FIDH: http://blog.gardonslesyeuxouverts.org/post/2009/01/26/Resume-video-de-laudience-du-26-janvier-2009