Amnesty International France

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Le procès Lubanga devant la cour pénale internationale

Lettre d'information n° 12

semaine 16 - 19 juin 2009

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Mardi 16 juin

Un témoin reconnaît avoir fait un faux témoignage

L'homme, identifié sous le nom de témoin numéro 15 a déclaré aux juges qu'il avait fourni au bureau du procureur (BdP)une fausse identité et un faux témoignage sur des points importants. Alors que cette déclaration a été faite à huis clos, le juge a décidé de lire à voix haute les parties de la transcription du témoignage, indiquant qu'il souhaitait que le public soit informé.
"Votre déclaration au BdP est donc inexacte en substance ?" a lu le juge Fulford "C'est exact, c'est une fausse déclaration" avait répondu le témoin.
Le juge a précisé qu'un nouvelle déclaration sera enregistrée hors de la salle d'audience par une personne du BdP ne travaillant pas sur le procès Lubanga. Le procureur a suggéré que celle-ci soit enregistrée son et vidéo et que la défense puisse y assister sans prendre la parole.
"Nous n'avons aucune idée du résultat, mais on peut imaginer par la suite que la défense pourrait souhaiter appeler ce témoin".
Le juge Fulford a suggéré que ce témoin soit assisté d'un avocat qui le conseille et le mette en garde contre le faux témoignage. Les procureurs ont assuré que le nouveau témoignage sera recueilli rapidement et qu'il paraîtra en audience la semaine prochaine.

Mercredi 17 juin et jeudi 18 juin

Ces deux journées ont été consacrées à l'exposé d'un expert de la région, Roberto Garreton, juriste chilien, envoyé spécial du Comité des Nations Unies pour les Droits de l'Homme (UNCHR). R. Garreton a écrit plusieurs rapports pour la commission des Droits de l'Homme sur la situation dans l'ex Zaïre suite à des missions effectuées en 2000.
Il a exposé à la cour, mercredi une histoire de la région du Congo, de la géographie ethnique de ce pays, et des conflits qui ont marqué cette région. Il a décrit les implantations de populations, et les mouvements de celles-ci particulièrement dans les régions du Nord Est, entre le Rwanda, le Burundi et le Kivu. Il a rappelé le rôle de la colonisation, puis des dictatures qui ont régné sur la région : Mobutu au Zaïre, Idi Amin Dada puis Museveni en Ouganda, Juvenal Habyarimana au Rwanda. Il a évoqué les 1,2 million de réfugiés Hutus après le génocide rwandais, le rôle des Interhawme dans la chasse aux Tutsie après le génocide, et le rôle de l'Ouganda et du Rwanda, ainsi que des groupes d'opposition. Il a compté que durant l'année 2000 sept conflits majeurs dans la région sans compter les conflits interethniques ensanglantait simultanément la région.
On peut retrouver son exposé complet dans les minutes de sa déposition sur le site de la CPI

Arrêté par un enfant de 10 ans armé d'une mitraillette

A partir de 1996, toutes les parties en conflit ont utilisé des enfants soldats. Ougandais, Rwandais, toutes les différentes armées et milices ont enrôlé des enfants, parfois même en tenant des campagnes radio officielles de recrutement.
En 2000 (après l'invasion de l'Ituri par les armées ougandaises) de nombreux enfants de la région ont été déportés en Ouganda et au Rwanda, puis envoyés combattre leur propre pays. Roberto Garreton explique avoir été empêché de poursuivre son enquête sur le massacre de 500 000 personnes perpétré en quatre jours par les milices de Kabila (les Banyamulenges aidés par les milices tutsies). Muni d'un laissez-passer signé de l'adjoint de Kabila, il n'a néanmoins pas pu poursuivre sa route à bord d'une jeep de l'ONU parce qu'un enfant de 10 ans armé d'une mitraillette s'y est opposé.

"Il n'y a pas d'enfants soldats. Il n'y a que des soldats de petite taille"

En 2000, alors que la région est tenue par J.P. Bemba, "Il y avait des douzaines d'enfants soldats à l'aéroport de Bunia" témoigne R. Garreton. Lorsque le lendemain, il mentionne ce fait à JP Bemba, :"Hier, à l'aéroport de Bunia, j'ai vu des enfants, vous ne pouvez pas me dire qu'il n'y a pas d'enfants soldats" ce dernier lui répond: "M. Garreton, ici, il y a des populations où les enfants sont très petits, vous avez probablement confondu ces gens. Il n'y a pas d'enfants soldats. Il y a des soldats de petite taille." Puis, un peu plus tard "S'il y a des enfants soldats, nous les démobiliserons"
A l'image de JP Bemba, les chefs de milices répondent : "Nous n'utilisons pas d'enfants soldats, mais ils sont utiles car…"

Des campagnes de recrutements d'enfants soldats

En 1998 Kabila menait des campagnes de recrutement d'enfants à la radio, seul média reçu par toute la population, pour des "milices civiles" . Cette campagne a été condamnée par la communauté internationale grâce aux interventions de l'UNICEF et d'autres ONG. Mais les radios n'ont jamais mentionné cette condamnation.
Les Maï-maïs ont recruté beaucoup d'enfants soldats, soit en les enlevant dans les champs, soit grâce à leurs parents. En l'absence d'une armée congolaise constituée, les Maye-mayes étaient considérés par une grande partie de la population comme les seuls défenseurs du pays devant l'invasion rwandaise et ougandaise.

Le viol, est une pratique courante dans la région

Roberto Garreton a déclaré à la cour que "les soldats étaient autorisés à faire tout ce qu'ils voulaient" en RDC. "En 2005, un groupe de 14 soldats aurait quitté leur caserne et violé 200 femmes". Il dit avoir entendu des témoignages comme quoi l'Ouganda occupant de l'Ituri de 1999 à 2003 aurait envoyé des soldats infecté du SIDA pour propager le virus chez les femmes congolaises.
Il a expliqué que les premières victimes sont les civils : "Dans la folie des guerres, les personnes tuées … ont été des femmes, des enfants, des personnes âgées". "Une balle finit toujours sa course".

Roberto Garreton a aussi expliqué en détail l'origine des certains conflits inter-ethniques, notamment celui entre Hema et Lendu.

Vendredi 19 juin

Un ancien soldat de l'UPC a raconté à la cour qu'il avait été arrêté et emprisonné par les milices de l'UPC au quartier général de Bunia.
"Nous étions enfermé dans des salles et le garde était présent pour être sûr que nous ne partirions pas ".
Ce témoin avait été entraîné militairement dans un camp à Rwampala dirigés par des Ougandais, mais était considéré comme un déserteur après avoir apparemment quitté le groupe. Les gardes du corps de ce camp l'ont arrêté et envoyé à Bunia au quartier général de l'UPC. Il avait environ dix-sept ans. Il a été gardé au QG de l'UPC deux jours puis envoyé au camp d'entraînement de l'UPC à Mandro. Ce témoin dit que les gens à cette époque parlaient de l'UPC comme le 'groupe de Thomas' en référence au chef Thomas Lubanga."Lorsque je suis entré dans l'UPC, au début, on n'avait pas ce nom de l'UPC, on  l'appelait seulement "ce sont les militaires de Thomas ". À ma connaissance, dans le premier jour, au début, l'UPC n'était pas très connu, on avait l'habitude d'appeler le 'groupe de Thomas' ".

Des mamans sont venues racheter leurs enfants au commandant du camp

Le témoin qui a été formateur militaire dans le camp près de Mandro, explique qu'il a vu par deux fois des mères venir récupérer leurs enfants, contre argent payé au commandant du camp. Il explique aussi que le groupe de 80 recrues dont il avait la charge au début a vu ses effectifs diminuer à cause des nombreuses désertions.

Apprentissage à coup de fouet

Le témoin explique que les recrues, quel que soit leur âge, qui tentaient de s'échapper, ou celles qui ne faisaient pas bien l'exercice demandé recevaient des coups de fouet sur les fesses et sur les pieds. . Il confirme que dans les 80 recrues qu'il avait à former il y avait des enfants de 14 - 15 ans
Le reste de la journée s'est déroulée à huis clos

Suite du procès mardi 23 juin.

Note concernant la défection de certains témoins :
Déjà le 28 janvier, un enfant soldat connu sous le nom de Dieumerci s'était rétracté, puis était retourné le 10 février devant la cour pour faire part de son expérience d'enfant soldat. Les raisons de ce retournement en étaient la peur de se voir inculper lors de son retour en RDC et les craintes de voir Lubanga à l'audience. "Beaucoup de choses me sont passées par la tête ce jour là. Je me suis mis en colère et je n'étais pas en mesure de témoigner", avait-il expliqué alors.

Sources:

Les minutes du procès: site de la CPI.
http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Situations/Situation+ICC+0104/Related+Cases/ICC+0104+0106/Transcripts/Trial+Chamber+I/

Des articles de journalistes suivant le procès. http://www.lubangatrial.org/   La semaine 16 a été suivie par Rachel Irwin

La présentation des journalistes qui suivent le procès: http://www.lubangatrial.org/contributors/#4

On peut aussi consulter:
Le site de Human Right Watch en français: http://www.hrw.org/fr/news/2009/01/23/le-proc-s-de-thomas-lubanga-la-cour-p-nale-internationale
On peut aussi visionner un résumé vidéo de la première journée du procès sur le site de la FIDH: http://blog.gardonslesyeuxouverts.org/post/2009/01/26/Resume-video-de-laudience-du-26-janvier-2009

Retrouvez toutes les lettres d'information sur le site du groupe 405 http://ai405.free.fr rubrique Actualité "Suivi du procès Lubanga"