Petit rappel chronologique
Inculpation
Thomas Lubanga est inculpé de crime de guerre pour l'enrôlement,
la conscription et l'utilisation pour une participation active, d'enfants
de moins de quinze ans dans le conflit en Ituri entre septembre 2002
et août 2003. Il était le dirigeant de l'Union de Patriotes
Congolais (UPC), principalement formé de l'ethnie Héma.
Il aurait lutté, avec l'aide du Rwanda et de l'Ouganda contre
les milices Lendu, entre autre le Front Nationaliste et Intégrationniste
(FNI) de Mathieu Ngudjolo Chui et les Forces de résistance patriotique
en Ituri (FRPI) de Germain Katanga. Le procès devant la CPI de
ces derniers a par ailleurs commencé en janvier 2010. Avec Thomas
Lubanga est aussi inculpé Bosco Ntaganda, qui est toujours en
liberté, et qui combat actuellement au coté des armées
régulières de RDC de Joseph Kabila.
Première partie du procès : janvier – juillet
2009
Le procès de Thomas Lubanga a débuté devant la
CPI le 26 janvier 2009. Les procureurs ont présenté 28
témoins, dont trois experts, soit près de 74 heures d'audition
durant 22 semaines. La présentation des témoins de l'accusation
s'est terminée le 13 juillet 2009
La demande de requalification de l’acte d’accusation
A l'écoute des premiers témoignages, les avocats représentants
91 victimes, ont demandé en mai 2009 une requalification des
charges contre l'accusé. Aux charges d'utilisation d'enfants
soldats, ils ont demandé que soient ajoutées les accusations
d'esclavage sexuel et de traitements inhumains. Les juges n'ont rejeté
cette demande qu'en octobre 2009, avec comme justification qu'elle nécessiterait
la reprise du procès à son début; on ne peut changer
l'acte d'accusation au cours d'un procès. Cette opération
allongerait la durée du procès au-delà d'un délai
raisonnable.
Reprise du procès
Le procès a donc repris le 7 janvier 2010 après six
mois d'interruption, par le témoignage de trois victimes et de
deux experts, dont La secrétaire générale adjointe
de l'ONU pour les enfants dans les conflits, Radhika Coosmaraswany demandé
par les juges.
Les témoignages des victimes
Trois témoins ont été présentés
par les avocats des victimes. Un ancien directeur, qui a raconté
l'enlèvement des élèves de son école, et
deux anciens enfants soldats, dont l'un a raconté les traitements
réservés aux filles dans les camps d'entraînement
de l'UPC
Les témoins de la défense
La défense a présenté 13 témoins depuis
le 27 janvier 2010. L'axe principal de la défense consiste à
tenter de démontrer que les témoins de l'accusation ont
été amenés par des intermédiaires, à
mentir aux enquêteurs du bureau du procureur, et qu'ainsi tous
les témoignages de l'accusation sont des faux.
Quelques caractéristiques de la Cour pénale Internationale
Le procès de Thomas Lubanga est le premier procès se
déroulant devant la Cour Pénale Internationale (CPI).
Contrairement aux tribunaux internationaux spéciaux (ex-Yougoslavie,
Sierra Léone, Rwanda) la présence de représentants
des victimes est déterminante. Le juge Adrian Fulford est très
pointilleux sur la procédure et le respect tant des témoins
que du droit de la défense.
La cour ne juge que les crimes les plus graves
Conformément au statut de Rome, la CPI a pour fonction de juger
pour des inculpations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité,
génocide. Il faut donc que l’une de ces inculpations soit
suffisamment étayées, entre autres qu'elles se rapportent
à des faits précis bien situés dans les lieux et
dans le temps.
La cour ne juge que des inculpés qui ne peuvent être
jugés dans leur propre pays
Le principe de subsidiarité fait que la CPI ne peut s'emparer
que d'affaires qui ne peuvent pas être traitées par les
juridictions des états concernés, soit parce que ses états
n'ont pas les outils juridiques nécessaires, soit qu'ils n'en
n'ont pas les moyens. La demande d'enquête préliminaire
est faite par le conseil de sécurité ou sur initiative
du procureur de la cour.
C’est une juridiction lourde et lente
Et souvent achronique, avec des nécessités de procédures
qui sont incompatibles avec la demande de justice et de réparations
des victimes et des populations concernées.
Par exemple, il paraît incompréhensible que la demande
de requalification des charges contre Lubanga par l’ajout de mauvais
traitements et d’esclavage sexuel aux chefs d’inculpation
ait demandé plus de quatre mois pour avoir une issue négative.
Surtout avec l’argument principal, que cela prolongerait au-delà
du raisonnable la durée du procès.
On note aussi le « pointillisme » de forme mis en œuvre
par le juge A. Fulford pour faire respecter les droits de l’accusé.
De plus, on ne peut y évoquer des faits ayant eu lieu avant la
date précise de l'acte d'accusation. Le procureur a été
interrompu par le juge lors de l’interrogatoire d’une des
victimes, pour une question relative à un fait antérieur
à 2002.
C’est une justice sans bras armé
C'est à l'état concerné de prendre les moyens
d'arrêter les inculpés, ce qui entraîne une instrumentalisation
de la justice internationale. La plupart des inculpés sont toujours
en liberté. Cela laisse l’impression que ne comparaissent
que les inculpés « en fin de course » ou des «
sous-fifres » qui ne sont plus utiles aux pouvoirs politiques
en place. Sinon, comment expliquer que Bosco Ntaganda est toujours dans
la nature, au service de Kabila et avec la présence de la Forpronu
?
Les problèmes posés aux procureurs
Des faits précis
L'accusation doit s'appuyer sur des faits précis, documentés
solidement, dates, lieux, personnes, noms. Elle se heurte alors à
plusieurs obstacles.
• Le problème de la mémoire des témoins,
surtout des anciens enfants soldats. Les évènements
ont eu lieu en 2002-2003 il y a 9 ans. Un témoin de 22 ans
en avait 13 à l'époque.
• Le problème du syndrome post traumatique (SPT): une
experte a rappelé que l'un des symptômes liés
aux traumatismes subis était la fuite de la "reviviscence"
des évènements (refus d'évoquer les évènements,
douleur physique et psychologique extrême à cette évocation),
la "globalisation" des stimuli sensoriels et la confusion
des différents évènements. Un témoin de
l'accusation refusera ainsi de poursuivre son témoignage, parce
que trop douloureux.
• La restriction de l'acte d'accusation. Nécessaire pour
s'appuyer sur des faits précis, l'accusation ne peut évoquer
que le cas d'utilisation d'enfants soldats, alors qu'à l'évidence
des témoignages évoqueront la perpétration de
massacres, de viols et d'actes de torture.
Limiter le nombre des témoins
Paradoxalement, il aurait été inutile pour l'accusation
de présenter une kyrielle de témoins qui auraient rapporté
la même histoire, et pourtant c'est aussi dans la répétition
et l'accumulation de faits semblables que pourrait reposer la charge.
Disposer de témoins fiables
C'est le point d'attaque des avocats de la défense. Bien sûr
l'accusation se heurte à la fragilité des témoignages
du au SPT évoqué plus haut, mais aussi au problème
des noms propres comme l'a expliqué un expert en janvier 2010
dans un pays où l'état civil est parcellaire, et les changements
de patronyme fréquents.
S'ajoutent les problèmes liés au dépaysement: être
transporté plusieurs jours à La Haye, placé dans
un hôtel spécial, protégé par des policiers,
pour quelques heures de déposition, sous le feu des questions
de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire est une épreuve
déstabilisante pour un paysan du Nord-est de la RDC.
Dans une interview donnée à Wairagala Wakabi que l'on
peut lire sur le site
internet du procès, Béatrice Le Fraper du Hellen,
responsable de la Division de la complémentarité et de
la coopération entre les juridictions cite aussi le fait que
nombres d'anciens enfants soldats, les filles principalement, ne sont
plus des personnes crédibles actuellement. Prostituées
dans les rue de Bunia ou Kinshasa, rejetées par leur famille
et leur village, dépendantes de la drogue, elles auraient du
mal à être entendues dans l'enceinte de la cour internationale.
De plus, Béatrice Le Fraper du Hellen a rappelé que les
témoins étaient mis en présence de Thomas Lubanga,
sans protection de voix ni de visage, que l'accusé souriait,
faisait des signes au public, faisait beaucoup de gestes et d'expressions,
que les enfants étaient terrifiés en témoignant
devant lui.
Le climat de peur
Au travers des témoins présentés par la défense,
on sent que règne encore en Ituri un climat de peur. Comment
demander à un jeune Héma, de témoigner contre un
chef Héma qui possède beaucoup de partisans au pays. Cette
personne sera considérée comme traitre dans son village.
Des témoins de la défense, disant qu'on les avait amené
à mentir aux enquêteurs du bureau du procureur ont bien
affirmé que leur revirement était consécutif à
des menaces provenant de personnes de leur famille et de proches. Certains
ont dit qu'ils avaient accepté de témoigner à charge
contre la possibilité d'être déplacés à
Kinshasa ou dans un pays voisin. L'un a raconté qu'il avait été
forcé de se réfugier en forêt devant la menace de
membres de sa famille lorsqu'ils ont appris qu'il témoignait
pour le procureur.
Le problème des intermédiaires
Lors de l'enquête préliminaire, pour obtenir des témoignages,
les enquêteurs du bureau du procureur ont fait appel à
des intermédiaires. Ces personnes, qui travaillent pour des ONG,
ou sont de simples militants des droits humains, tentent de trouver
des témoins fiables acceptant de rencontrer les enquêteurs
et de venir témoigner à La Haye. On comprend la difficulté
de trouver ces témoins et les risques pris par ces intermédiaires.
Les avocats de la défense ont fortement attaqué ces intermédiaires,
faisant entendre qu'ils avaient incité des personnes à
mentir aux enquêteurs.
La stratégie de la défense
Dès la reprise du procès, Maitre Mabille, avocate de
Thomas Lubanga a annoncé qu'elle s'attachera à démontrer
que les témoignages de l'accusation étaient mensongers.
Elle a aussi prétendu que, sans nier la réalité
de l'utilisation d'enfants soldats par l'UPC, son client n'en était
pas responsable, et qu'il n'avait pris aucune décision dans ce
domaine.
A l'heure actuelle, si d'après le peu entendu en audience publique,
elle est arrivée à instiller le doute sur les témoignages
de l'accusation, rien n'a été dit sur les responsabilités
de Thomas Lubanga dans le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats
par l'UPC.
Le déroulement des débats
Cependant, la nécessité de protéger l'anonymat
des témoins a fait en sorte qu'en dehors des dépositions
des experts, la plupart des témoignages s'est fait à huis
clos. En plus de la déformation des voix et des visages des déposants,
le public n'a pas pu accéder à grand-chose de ce qu'ils
ont dit au tribunal.
Philippe Brizemur Amnesty International France, Commission Enfants