Amnesty International France

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Procès de Thomas Lubanga devant la Cour Pénale Internationale
Lettre d’information n° 46-1
août – septembre 2011

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Dernière phase du procès
Les réquisitions des procureurs et des avocats des victimes
1. L’intervention des procureurs

La première affaire traitée par la Cour Pénale Internationale (CPI) touche à sa fin. Cinq ans après le mandat d’arrêt lancé contre Thomas Lubanga, et deux ans et demi après le début de son procès, les conclusions des procureurs et des avocats des victimes, ainsi que les plaidoiries des défenseurs ont été prononcées devant la cour.
Thomas Lubanga est accusé de crime de guerre de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants soldats dans le conflit qui a ensanglanté l’Ituri (est de la RDC) en 2002 et 2003.

Une affaire exemplaire ?
Qu’il soit reconnu coupable ou innocent, ce procès a permis de mettre en avant le sort des enfants dans les conflits armés. Mais on remarquera aussi que la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats n’ont été que les seuls chefs d’accusation contre Thomas Lubanga, alors que les crimes d’esclavage sexuel, notamment l’utilisation des jeunes filles par les miliciens de l’UPC, la milice dirigée par l’accusé, ont été laissés de côté par les procureurs lors de la rédaction de l’acte d’accusation.
Dans le public de ces dernières séances, on pouvait apercevoir Radhika Coomaraswany, représentante spéciale du secrétaire de l’ONU pour les enfants dans les conflits armés, qui avait témoigné comme experte en septembre dernier, et l’actrice Angelina Jolie, ambassadrice de bonne volonté du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés.

Une douzaine d’avocats
Plus d’une douzaine d’avocats et de défenseurs des victimes ont pris la parole jeudi 25 août pendant près de quatre heures et demie pour exhorter les juges à condamner Thomas Lubanga.
Ils ont rappelé la brutalité du conflit entre Hema et Lendu dans cette région et ont cherché à établir la responsabilité individuelle de l’accusé dans ces violences
Selon la procureure adjointe Fatou Bensouda les preuves démontraient la culpabilité de M. Lubanga, non seulement « au-delà de tout doute raisonnable », mais « sans aucun doute possible ». Elle a rappelé que l’accusation avait donné une voix aux enfants que l’UPC de M. Lubanga avait « transformés en tueurs ».
Elle a également rappelé certaines preuves telles que la vidéo montrant M. Lubanga au camp d’entraînement de Rwampara où il s’adresse à un rassemblement d’enfants soldats et que dans son discours, il dit que c’est la deuxième fois qu’il vient, qu’il y est en uniforme militaire, et qu’il fait entendre que le commandant Bosco (Bosco N’Taganda, inculpé lui aussi par la CPI) est bien sous ses ordres. Elle a qualifié cette vidéo de « confession volontaire et publique ».

Les « mensonges » des témoins et les « tentatives » de M. Lubanga de démobiliser les enfants soldats
La procureure Nicole Samson a repris tous les témoignages des témoins de l’accusation, anciens enfants soldats, anciens commandants de l’UPC/FPLC, observateurs de l’ONU, membres d’ONG d’aide à l’enfance pour démontrer que l’UPC/FPLC recrutait systématiquement des enfants. Elle a rappelé que les familles et les villages étaient forcés d’envoyer des enfants sous menace de ne plus être protégés par la milice, que des enfants avaient été raflés dans des écoles. Elle a rappelé que près de 35% des 2500 à 5000 recrues avaient moins de 15 ans. Elle a fait état des nombreux témoignages d’anciens cadres de l’UPC/FPLC sur la conscription et l’utilisation d’enfants tant comme gardes du corps que comme combattants. Elle a mentionné la présence d’enfants dans les batailles qui ont ensanglanté l’Ituri en 2002-2003. Elle a rappelé que certains enfants faisaient partie de la garde personnelle de Thomas Lubanga. Elle a contré les arguments de la défense selon lesquels les témoins auraient menti ou commis des erreurs flagrantes en arguant sur la diversité des témoignages, anciens commandants, observateurs de l’ONU, membres d’ONG et l’impossibilité que tous ces témoins puissent avoir menti en même temps, tant sur l’estimation de l’âge des enfants, que sur la conscription, leur utilisation dans les combats et comme gardes du corps. Elle a déclaré que les arguments de la défense dans ce domaine étaient tout simplement trop fantaisistes pour être cru.

Le procureur Manoj Sachveda a plaidé la responsabilité personnelle de Thomas Lubanga dans les crimes qui lui sont reprochés. S’appuyant sur les témoignages des anciens commandants de l’UPC/FPLC, il a rappelé que Thomas Lubanga avait la maîtrise totale de l’organisation, et qu’il définissait la stratégie. Le plan général de recrutement d’enfants n’a pu se faire sans son aval. Il a qualifié les trois « tentatives » de M. Lubanga de démobilisation des enfants soldats de simple couverture et de mascarade. L’UPC/FPLC a continué le recrutement et la conscription des enfants. Cela démontrait de plus que M. Lubanga savait qu’il avait tort d’utiliser les enfants.
La procureure Struyven a complété en projetant et commentant des vidéos montrant Thomas Lubanga lors de meetings, s’adressant aux enfants et recevant les salutations des commandants de l’UPC, montrant ainsi et sa connaissance de l’utilisation d’enfants et son statut de commandant suprême de l’organisation.

Il s’agissait bien d’un conflit non international
M. McCormak a démontré, cartes à l’appui que, contrairement à ce que prétend la défense, le conflit en Ituri n’a pas été orchestré par l’occupation ougandaise, qui se résumait à l’occupation symbolique de l’aéroport de Bunia, ni par le Rwanda. « L’étendue géographique et l’intensité des massacres dément la suggestion selon laquelle ils auraient pu avoir lieu de manière accidentelle ». Et l’UPC/FPLC y a joué un rôle important.

De Nuremberg à La Haye
Moment symbolique : M. Benjamin Ferencz a raconté qu’à l’âge de 27 ans, il avait été procureur au tribunal de Nuremberg. Il a exhorté la Cour à prendre au sérieux l’effet dissuasif que pourrait avoir une condamnation.

La tension entre le juge et les procureurs. La manière de considérer les violences sexuelles faites aux filles.
Par deux fois, ce procès aurait pu être interrompu, et le prévenu libéré, à cause du refus des procureurs de respecter les injonctions du juge, notamment le refus pour raison de sécurité de fournir à la défense des noms de témoins. Cette tension s’est encore manifestée durant cette audience lorsque le procureur général Moreno Ocampo a tenté d’intervenir quand le juge Fulford a demandé une clarification à la procureure Nicole Samson. Le juge a reproché à M. Ocampo l’utilisation de courriel dans la salle d’audience alors qu’il avait nommé six personnes pour parler au nom de l’accusation. M. Ocampo a obtenu in fine l’autorisation de prendre la parole pour répondre aux questions concernant la non prise en considération dans l’acte d’accusation des violences sexuelles. Il a expliqué que selon lui, la violence sexuelle était « un aspect spécifique au genre » de la conscription. Le juge a remarqué que cela différait de l’argument de la procureure Mme Samson qui avait estimé que les violences sexuelles contre les filles soldats constituaient un aspect de la participation directe des filles aux hostilités.

La fin de la journée a été consacrée au dépôt des conclusions des avocats des victimes (voir la lettre 46-2)
Le vendredi 26 août a été consacré à la plaidoirie des avocats de la défense.


Compte-rendu d’après les minutes du procès ; Philippe Brizemur commission enfants Amnesty International France

Retrouvez toutes les lettres d'information sur le site du groupe 405 http://ai405.free.fr rubrique Actualité "Suivi du procès Lubanga"

Sources:

Les minutes du procès: site de la CPI.
http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Situations/Situation+ICC+0104/Related+Cases/ICC+0104+0106/Transcripts/Trial+Chamber+I/

Le calendrier des audiences à la CPI: http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Hearing+Schedule/Upcoming+Hearings.htm
On peut aussi suivre les retransmissions vidéo des auditions (lorsque celles-ci ne sont pas à huis clos)

Des articles de journalistes suivant le procès. http://www.lubangatrial.org/