Dernière
phase du procès
Les réquisitions des procureurs et des avocats des victimes
1. L’intervention des procureurs
La première affaire traitée par la Cour Pénale
Internationale (CPI) touche à sa fin. Cinq ans après
le mandat d’arrêt lancé contre Thomas Lubanga,
et deux ans et demi après le début de son procès,
les conclusions des procureurs et des avocats des victimes, ainsi
que les plaidoiries des défenseurs ont été prononcées
devant la cour.
Thomas Lubanga est accusé de crime de guerre de conscription,
d’enrôlement et d’utilisation d’enfants soldats
dans le conflit qui a ensanglanté l’Ituri (est de la
RDC) en 2002 et 2003.
Une affaire exemplaire ?
Qu’il soit reconnu coupable ou innocent, ce procès a
permis de mettre en avant le sort des enfants dans les conflits armés.
Mais on remarquera aussi que la conscription, l’enrôlement
et l’utilisation d’enfants soldats n’ont été
que les seuls chefs d’accusation contre Thomas Lubanga, alors
que les crimes d’esclavage sexuel, notamment l’utilisation
des jeunes filles par les miliciens de l’UPC, la milice dirigée
par l’accusé, ont été laissés de
côté par les procureurs lors de la rédaction de
l’acte d’accusation.
Dans le public de ces dernières séances, on pouvait
apercevoir Radhika Coomaraswany, représentante spéciale
du secrétaire de l’ONU pour les enfants dans les conflits
armés, qui avait témoigné comme experte en septembre
dernier, et l’actrice Angelina Jolie, ambassadrice de bonne
volonté du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés.
Une douzaine d’avocats
Plus d’une douzaine d’avocats et de défenseurs
des victimes ont pris la parole jeudi 25 août pendant près
de quatre heures et demie pour exhorter les juges à condamner
Thomas Lubanga.
Ils ont rappelé la brutalité du conflit entre Hema et
Lendu dans cette région et ont cherché à établir
la responsabilité individuelle de l’accusé dans
ces violences
Selon la procureure adjointe Fatou Bensouda les preuves démontraient
la culpabilité de M. Lubanga, non seulement « au-delà
de tout doute raisonnable », mais « sans aucun doute possible
». Elle a rappelé que l’accusation avait donné
une voix aux enfants que l’UPC de M. Lubanga avait « transformés
en tueurs ».
Elle a également rappelé certaines preuves telles que
la vidéo montrant M. Lubanga au camp d’entraînement
de Rwampara où il s’adresse à un rassemblement
d’enfants soldats et que dans son discours, il dit que c’est
la deuxième fois qu’il vient, qu’il y est en uniforme
militaire, et qu’il fait entendre que le commandant Bosco (Bosco
N’Taganda, inculpé lui aussi par la CPI) est bien sous
ses ordres. Elle a qualifié cette vidéo de « confession
volontaire et publique ».
Les « mensonges » des témoins et les «
tentatives » de M. Lubanga de démobiliser les enfants
soldats
La procureure Nicole Samson a repris tous les témoignages des
témoins de l’accusation, anciens enfants soldats, anciens
commandants de l’UPC/FPLC, observateurs de l’ONU, membres
d’ONG d’aide à l’enfance pour démontrer
que l’UPC/FPLC recrutait systématiquement des enfants.
Elle a rappelé que les familles et les villages étaient
forcés d’envoyer des enfants sous menace de ne plus être
protégés par la milice, que des enfants avaient été
raflés dans des écoles. Elle a rappelé que près
de 35% des 2500 à 5000 recrues avaient moins de 15 ans. Elle
a fait état des nombreux témoignages d’anciens
cadres de l’UPC/FPLC sur la conscription et l’utilisation
d’enfants tant comme gardes du corps que comme combattants.
Elle a mentionné la présence d’enfants dans les
batailles qui ont ensanglanté l’Ituri en 2002-2003. Elle
a rappelé que certains enfants faisaient partie de la garde
personnelle de Thomas Lubanga. Elle a contré les arguments
de la défense selon lesquels les témoins auraient menti
ou commis des erreurs flagrantes en arguant sur la diversité
des témoignages, anciens commandants, observateurs de l’ONU,
membres d’ONG et l’impossibilité que tous ces témoins
puissent avoir menti en même temps, tant sur l’estimation
de l’âge des enfants, que sur la conscription, leur utilisation
dans les combats et comme gardes du corps. Elle a déclaré
que les arguments de la défense dans ce domaine étaient
tout simplement trop fantaisistes pour être cru.
Le procureur Manoj Sachveda a plaidé la responsabilité
personnelle de Thomas Lubanga dans les crimes qui lui sont reprochés.
S’appuyant sur les témoignages des anciens commandants
de l’UPC/FPLC, il a rappelé que Thomas Lubanga avait
la maîtrise totale de l’organisation, et qu’il définissait
la stratégie. Le plan général de recrutement
d’enfants n’a pu se faire sans son aval. Il a qualifié
les trois « tentatives » de M. Lubanga de démobilisation
des enfants soldats de simple couverture et de mascarade. L’UPC/FPLC
a continué le recrutement et la conscription des enfants. Cela
démontrait de plus que M. Lubanga savait qu’il avait
tort d’utiliser les enfants.
La procureure Struyven a complété en projetant et commentant
des vidéos montrant Thomas Lubanga lors de meetings, s’adressant
aux enfants et recevant les salutations des commandants de l’UPC,
montrant ainsi et sa connaissance de l’utilisation d’enfants
et son statut de commandant suprême de l’organisation.
Il s’agissait bien d’un conflit non international
M. McCormak a démontré, cartes à l’appui
que, contrairement à ce que prétend la défense,
le conflit en Ituri n’a pas été orchestré
par l’occupation ougandaise, qui se résumait à
l’occupation symbolique de l’aéroport de Bunia,
ni par le Rwanda. « L’étendue géographique
et l’intensité des massacres dément la suggestion
selon laquelle ils auraient pu avoir lieu de manière accidentelle
». Et l’UPC/FPLC y a joué un rôle important.
De Nuremberg à La Haye
Moment symbolique : M. Benjamin Ferencz a raconté qu’à
l’âge de 27 ans, il avait été procureur
au tribunal de Nuremberg. Il a exhorté la Cour à prendre
au sérieux l’effet dissuasif que pourrait avoir une condamnation.
La tension entre le juge et les procureurs. La manière
de considérer les violences sexuelles faites aux filles.
Par deux fois, ce procès aurait pu être interrompu, et
le prévenu libéré, à cause du refus des
procureurs de respecter les injonctions du juge, notamment le refus
pour raison de sécurité de fournir à la défense
des noms de témoins. Cette tension s’est encore manifestée
durant cette audience lorsque le procureur général Moreno
Ocampo a tenté d’intervenir quand le juge Fulford a demandé
une clarification à la procureure Nicole Samson. Le juge a
reproché à M. Ocampo l’utilisation de courriel
dans la salle d’audience alors qu’il avait nommé
six personnes pour parler au nom de l’accusation. M. Ocampo
a obtenu in fine l’autorisation de prendre la parole pour répondre
aux questions concernant la non prise en considération dans
l’acte d’accusation des violences sexuelles. Il a expliqué
que selon lui, la violence sexuelle était « un aspect
spécifique au genre » de la conscription. Le juge a remarqué
que cela différait de l’argument de la procureure Mme
Samson qui avait estimé que les violences sexuelles contre
les filles soldats constituaient un aspect de la participation directe
des filles aux hostilités.
La fin de la journée a été consacrée
au dépôt des conclusions des avocats des victimes (voir
la lettre 46-2)
Le vendredi 26 août a été consacré à
la plaidoirie des avocats de la défense.
Compte-rendu d’après les minutes du procès ; Philippe
Brizemur commission enfants Amnesty International France