Où
en est-on du procès de Thomas Lubanga devant la Cour Pénale
Internationale ?
Thomas Lubanga est le premier inculpé à passer en jugement
devant la Cour Pénale Internationale de La Haye. Il est inculpé
de crime de guerre conformément à l'article 8 du statut
de la C.P.I, pour avoir conscrit, enrôlé et utilisé
des enfants de moins de quinze ans alors qu'il était président
de l'Union des Patriote Congolais (UPC) en 2002 et 2003.
Son procès a débuté en janvier 2009. Il est actuellement
suspendu jusqu'au mois d'octobre.
Les acteurs de ce procès sont le juge Fulford, président
de la cour, les procureurs dont la charge est de prouver la culpabilité
de Thomas Lubanga, les avocats représentant 99 victimes, la
défense.
De janvier à mi-juillet, les procureurs ont présenté
leurs témoins. La défense devrait intervenir en octobre.
Va-t-on vers une requalification des chefs
d'inculpation?
Les témoignages entendus durant ces six mois et demi montrent
à l'évidence la brutalité des traitements qu'ont
subis les jeunes filles et les garçons aux mains des dirigeants
militaires de l'UPC. Viols, traitements inhumains, ont été
le lot quotidien de dizaines d'enfants. Les avocats des victimes ont
demandé en mai une requalification des chefs d'inculpations,
par l'ajout des accusations de traitements inhumains, et esclavage
sexuel.
Opposition du juge et des procureurs
Les juges de la cour ont estimé que cette requalification n'était
pas contraire aux statuts de la CPI. Le juge Fulford y est opposé.
Les procureurs ont fait appel contre cette décision estimant:
• que cela poserait un problème d'équité:
Thomas Lubanga serait jugé sur des charges pour lesquelles
il n'a pas été inculpé au début, cela
provoquerait un précédent grave.
• Cela prolongerait inutilement le procès et repousserait
ainsi les autres procès en attente.
• Les charges nouvelles serviraient mieux comme circonstances
aggravantes lors du jugement.
La décision devrait être prise dans les jours qui viennent.
Ce que doivent prouver les procureurs
La nature du conflit
Thomas Lubanga est inculpé de crime de guerre. Les procureurs
doivent apporter la preuve qu'il y avait bien conflit à cette
époque en RDC. Pour cela, le témoignage de l'historien
Gérard Prunier fut capital. Il a raconté à la
cour les violences des conflits ethniques entre Lendu et Ngitis d'une
part et Hema, représenté par l'UPC d'autre part. "Tout
le monde tuait tout le monde". Il a aussi montré la
participation directe de l'Ouganda au conflit. Un haut responsable
de l'UPC a révélé les fournitures d'armes à
l'UPC par l'Ouganda et le Rwanda.
L'enrôlement des enfants soldats
L'âge des enfants
Les procureurs ont du prouver qu'il y a eu enrôlement d'enfants
de moins de quinze ans par les soldats de l'UPC, et que ceux-ci pouvaient
connaître leur âge.
Prouver que ces enfants avaient moins de quinze ans fut un défi
majeur pour les procureurs. Les spécialistes appelés
à témoigner ayant dit la difficulté à
déterminer un âge (manque de données scientifiques,
malnutrition, absence d'état civil, etc.)
Volontaires
Que les enfants aient été placés volontairement
par leurs parents ou qu'ils aient rejoint les rangs de l'UPC de leur
propre chef n'innocente pas Lubanga; Accepter ces enfants est un crime.
Par exemple, un ancien enfant soldat a raconté comment il avait
rejoint l'UPC après son retour de l'école, ayant trouvé
sa maison close et abandonnée. Arrivé au camp de l'UPC
il a dit au commandant qu'il avait dix ans. Ce dernier a ri, pris
l'enfant, l'a armé et entraîné.
Au front
Il suffit de montrer que l'utilisation d'enfants soldats était
en relation avec le conflit. Les procureurs ont prouvé que
les enfants ont été utilisés directement dans
les hostilités. Certains ont témoigné de leur
engagement dans les combats: "si vous ne tirez pas sur l'ennemi,
c'est lui qui vous tire dessus et vous mourrez. C'est ce qui vous
donne la force de continuer". "L'ennemi, c'était
les Lendu" a raconté ce témoin.
Les responsabilités personnelles
de Thomas Lubanga
Bien que les enfants aient été utilisés par l'UPC,
il n'est pas évident que Thomas Lubanga ait lui-même
conscrit, enrôlé et utilisé des enfants. Il n'était
pratiquement jamais au front. En revanche, il est prouvé qu'il
utilisait des enfants comme garde du corps.
Selon les statuts de la Cour, il est coupable de crime, non pour avoir
perpétré physiquement ces crimes, mais pour avoir participé
à un groupe qu'il les a commis. Les procureurs doivent prouver
qu'il faisait partie d'un groupe de deux personnes ou plus, et que
ce groupe avait un plan commun. Ce qui a été prouvé
aisément, puisqu'il était président de l'UPC.
Ce plan comportait un "effort de guerre" par le recrutement
de gré ou de force de jeunes gens, par le fait de les entraîner
et de les envoyer au combat. Il leur faut aussi prouver que Thomas
Lubanga a pris une part essentielle dans le contrôle et l'exécution
de ce plan.
Les procureurs ont projeté des vidéos le montrant visitant
des camps d'entraînement, haranguant les troupes avant de les
envoyer au combat, celles-ci comprenant visiblement des enfants.
La responsabilité politique de Thomas
Lubanga
De nombreux témoignages, et plus de 80 documents exhibés
par les procureurs montrent l'autorité de Thomas Lubanga au
sein de l'UPC. Même si l'UPC était organisée en
unités autonomes, il était mis au courant des activités
de ces unités.
Les procureurs doivent donc prouver enfin que Thomas Lubanga et les
autres dirigeants savaient qu'il y avait des enfants de moins de quinze
ans dans ces unités. Une interview vidéo de Thomas Lubanga
le montre condamnant le recrutement d'enfants soldats par l'Ouganda
et assurant que ce n'était pas le cas à l'UPC. Mais
une autre le montre parlant aux troupes dans lesquelles il y avait
visiblement des enfants.
C'est pour cela que les procureurs ont insisté sur leur utilisation
comme garde du corps.
La défense
Elle va bien sûr mettre en doute les témoignages. Elle
va probablement tenter de montrer que des enfants de moins de quinze
ans se sont "glissés" comme par erreur dans les "jeunes
recrues" et que Thomas Lubanga n'était pas au courant
de ce fait.
Ce sera aux juges de décider de la culpabilité en estimant
le poids et la crédibilité des témoignages.
Rédigé à partir de l'analyse de Jennifer
Easterday, chercheuse à l'Université de Californie Berkeley,
au centre d'étude des crimes de guerre. Californie USA