Amnesty International France

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Le procès Lubanga devant la cour pénale internationale

Lettre d'information n° 18

septembre 2009

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Où en est-on du procès de Thomas Lubanga devant la Cour Pénale Internationale ?

Thomas Lubanga est le premier inculpé à passer en jugement devant la Cour Pénale Internationale de La Haye. Il est inculpé de crime de guerre conformément à l'article 8 du statut de la C.P.I, pour avoir conscrit, enrôlé et utilisé des enfants de moins de quinze ans alors qu'il était président de l'Union des Patriote Congolais (UPC) en 2002 et 2003.
Son procès a débuté en janvier 2009. Il est actuellement suspendu jusqu'au mois d'octobre.
Les acteurs de ce procès sont le juge Fulford, président de la cour, les procureurs dont la charge est de prouver la culpabilité de Thomas Lubanga, les avocats représentant 99 victimes, la défense.
De janvier à mi-juillet, les procureurs ont présenté leurs témoins. La défense devrait intervenir en octobre.

Va-t-on vers une requalification des chefs d'inculpation?
Les témoignages entendus durant ces six mois et demi montrent à l'évidence la brutalité des traitements qu'ont subis les jeunes filles et les garçons aux mains des dirigeants militaires de l'UPC. Viols, traitements inhumains, ont été le lot quotidien de dizaines d'enfants. Les avocats des victimes ont demandé en mai une requalification des chefs d'inculpations, par l'ajout des accusations de traitements inhumains, et esclavage sexuel.

Opposition du juge et des procureurs
Les juges de la cour ont estimé que cette requalification n'était pas contraire aux statuts de la CPI. Le juge Fulford y est opposé. Les procureurs ont fait appel contre cette décision estimant:
• que cela poserait un problème d'équité: Thomas Lubanga serait jugé sur des charges pour lesquelles il n'a pas été inculpé au début, cela provoquerait un précédent grave.
• Cela prolongerait inutilement le procès et repousserait ainsi les autres procès en attente.
• Les charges nouvelles serviraient mieux comme circonstances aggravantes lors du jugement.
La décision devrait être prise dans les jours qui viennent.

Ce que doivent prouver les procureurs

La nature du conflit
Thomas Lubanga est inculpé de crime de guerre. Les procureurs doivent apporter la preuve qu'il y avait bien conflit à cette époque en RDC. Pour cela, le témoignage de l'historien Gérard Prunier fut capital. Il a raconté à la cour les violences des conflits ethniques entre Lendu et Ngitis d'une part et Hema, représenté par l'UPC d'autre part. "Tout le monde tuait tout le monde". Il a aussi montré la participation directe de l'Ouganda au conflit. Un haut responsable de l'UPC a révélé les fournitures d'armes à l'UPC par l'Ouganda et le Rwanda.

L'enrôlement des enfants soldats

L'âge des enfants
Les procureurs ont du prouver qu'il y a eu enrôlement d'enfants de moins de quinze ans par les soldats de l'UPC, et que ceux-ci pouvaient connaître leur âge.
Prouver que ces enfants avaient moins de quinze ans fut un défi majeur pour les procureurs. Les spécialistes appelés à témoigner ayant dit la difficulté à déterminer un âge (manque de données scientifiques, malnutrition, absence d'état civil, etc.)

Volontaires
Que les enfants aient été placés volontairement par leurs parents ou qu'ils aient rejoint les rangs de l'UPC de leur propre chef n'innocente pas Lubanga; Accepter ces enfants est un crime. Par exemple, un ancien enfant soldat a raconté comment il avait rejoint l'UPC après son retour de l'école, ayant trouvé sa maison close et abandonnée. Arrivé au camp de l'UPC il a dit au commandant qu'il avait dix ans. Ce dernier a ri, pris l'enfant, l'a armé et entraîné.

Au front
Il suffit de montrer que l'utilisation d'enfants soldats était en relation avec le conflit. Les procureurs ont prouvé que les enfants ont été utilisés directement dans les hostilités. Certains ont témoigné de leur engagement dans les combats: "si vous ne tirez pas sur l'ennemi, c'est lui qui vous tire dessus et vous mourrez. C'est ce qui vous donne la force de continuer". "L'ennemi, c'était les Lendu" a raconté ce témoin.

Les responsabilités personnelles de Thomas Lubanga
Bien que les enfants aient été utilisés par l'UPC, il n'est pas évident que Thomas Lubanga ait lui-même conscrit, enrôlé et utilisé des enfants. Il n'était pratiquement jamais au front. En revanche, il est prouvé qu'il utilisait des enfants comme garde du corps.
Selon les statuts de la Cour, il est coupable de crime, non pour avoir perpétré physiquement ces crimes, mais pour avoir participé à un groupe qu'il les a commis. Les procureurs doivent prouver qu'il faisait partie d'un groupe de deux personnes ou plus, et que ce groupe avait un plan commun. Ce qui a été prouvé aisément, puisqu'il était président de l'UPC. Ce plan comportait un "effort de guerre" par le recrutement de gré ou de force de jeunes gens, par le fait de les entraîner et de les envoyer au combat. Il leur faut aussi prouver que Thomas Lubanga a pris une part essentielle dans le contrôle et l'exécution de ce plan.
Les procureurs ont projeté des vidéos le montrant visitant des camps d'entraînement, haranguant les troupes avant de les envoyer au combat, celles-ci comprenant visiblement des enfants.

La responsabilité politique de Thomas Lubanga
De nombreux témoignages, et plus de 80 documents exhibés par les procureurs montrent l'autorité de Thomas Lubanga au sein de l'UPC. Même si l'UPC était organisée en unités autonomes, il était mis au courant des activités de ces unités.
Les procureurs doivent donc prouver enfin que Thomas Lubanga et les autres dirigeants savaient qu'il y avait des enfants de moins de quinze ans dans ces unités. Une interview vidéo de Thomas Lubanga le montre condamnant le recrutement d'enfants soldats par l'Ouganda et assurant que ce n'était pas le cas à l'UPC. Mais une autre le montre parlant aux troupes dans lesquelles il y avait visiblement des enfants.
C'est pour cela que les procureurs ont insisté sur leur utilisation comme garde du corps.

La défense
Elle va bien sûr mettre en doute les témoignages. Elle va probablement tenter de montrer que des enfants de moins de quinze ans se sont "glissés" comme par erreur dans les "jeunes recrues" et que Thomas Lubanga n'était pas au courant de ce fait.

Ce sera aux juges de décider de la culpabilité en estimant le poids et la crédibilité des témoignages.

Rédigé à partir de l'analyse de Jennifer Easterday, chercheuse à l'Université de Californie Berkeley, au centre d'étude des crimes de guerre. Californie USA

Retrouvez toutes les lettres d'information sur le site du groupe 405 http://ai405.free.fr rubrique Actualité "Suivi du procès Lubanga"

Sources:

Les minutes du procès: site de la CPI.
http://www2.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Situations/Situation+ICC+0104/Related+Cases/ICC+0104+0106/Transcripts/Trial+Chamber+I/

Des articles de journalistes suivant le procès. http://www.lubangatrial.org/   La semaine 16 a été suivie par Rachel Irwin

La présentation des journalistes qui suivent le procès: http://www.lubangatrial.org/contributors/#4

On peut aussi consulter:
Le site de Human Right Watch en français: http://www.hrw.org/fr/news/2009/01/23/le-proc-s-de-thomas-lubanga-la-cour-p-nale-internationale
On peut aussi visionner un résumé vidéo de la première journée du procès sur le site de la FIDH: http://blog.gardonslesyeuxouverts.org/post/2009/01/26/Resume-video-de-laudience-du-26-janvier-2009